Lettre ouverte aux écoles et enseignants avant d’accueillir des enfants qui ne parlent pas ou peu français.

Mesdames et Messieurs les enseignants,
Mesdames et Messieurs les directeurs et directrices d'établissement scolaire,

 

Je profite que l'été ne soit pas encore terminé et que vous commenciez - enfin, je suppose - à penser à la rentrée prochaine, pour vous adresser ces quelques mots.

 

Vous avez peut-être déjà planifié vos cours et préparer votre rentrée des classes. Vous avez certaines réfléchis à la manière dont vous souhaitez mettre les choses en place, à la manière dont vous souhaitez travailler au cours de l'année scolaire à venir. 

Ou bien, vous n'avez peut-être pas du tout encore commencé et vous continue de profiter de l'été pour vous reposer et faire d'autres choses. Et ce n'est que dans quelques jours que vous commencerez à vraiment réfléchir à la rentrée et à l'année à venir. En tout cas, vous savez quel-s niveau-x vous allez enseigner. 


Où que vous soyez, que vous ayez commencé à vous préparer ou non, j'avais envie de vous interpeller aujourd'hui.

 

Vous avez ou allez avoir dans vos écoles et vos classes des enfants plurilingues, des enfants allophones, des enfants qui parlent d'autres langues que le français à la maison, des parents dont les parents ne parlent pas ou très peu le français ; et vous vous demandez comment vous allez communiquer avec eux, comment vous allez entrer en relations avec leurs parents, comment vous allez travailler avec ces enfants pour qu'ils puissent réussir et se sentir bien à l'école. 

Je pense qu'il est important de garder en tête plusieurs choses que j'aimerais vous mentionner ici, afin que tout se passe pour le mieux, que les parents soient des partenaires dans l'éducation formelle de leurs enfants et que ces mêmes enfants puissent progresser dans un environnement dans lequel ils se sentent en sécurité.
La présence de ces enfants dans vos classes est un atout et pas un handicap. Ils vous apporteront à vous et à leurs camarades de classe un regard sur le monde qui sera tout autre et permettra de progresser ensemble.

 

-> 𝐧𝐞 𝐜𝐫𝐢𝐭𝐢𝐪𝐮𝐞𝐳 𝐩𝐚𝐬 𝐜𝐞𝐭𝐭𝐞 𝐥𝐚𝐧𝐠𝐮𝐞 qu'ils parlent et que vous ne comprenez pas. Ni dites rien, ne faites rien qui pourrait détruire cette langue, elle n'est ni pire, ni mieux que la vôtre, elle est juste différente. 

 

-> ɴ'ɪɴᴛᴇʀᴅɪsᴀɪᴛ ᴘᴀs l'utilisation d'autres langues que le français dans votre école, dans votre classe. Laissez-les parler ces langues. Pourquoi me direz-vous ? Cela les rassure. Le problème, c'est que vous ne les comprenez pas ! N'est-ce pas ? Ce n'est pas une bonne raison. De plus, contrairement à ce que pense de nombreuses personnes, ce n'est pas en leur interdisant de parler leur langue d'origine qu'ils apprendront plus vite le français - bien au contraire.

 

-> 𝔫𝔢 𝔩𝔢𝔰 𝔬𝔟𝔩𝔦𝔤𝔢𝔞𝔦𝔱 𝔭𝔞𝔰 à ne parler que le français, car cela implique que vous niez leur identité. C'est leur refuser le droit à la parole, c'est les obliger à se taire, car ils seront incapables de s'exprimer en français tout de suite. Jacques Derrida (voir note) écrivait d'ailleurs en 1996 que quand on interdit une langue, on interdit l'accès au dire. On interdit à l'enfant de parler. 

 

-> on ne peut apprendre qu'en se basant sur de bonnes fondations : les enfants migrants qui parlent d'autres langues ont déjà des bases. 𝓘𝓵 𝓯𝓪𝓾𝓽 𝓾𝓽𝓲𝓵𝓲𝓼𝓮𝓻 𝓵𝓮𝓾𝓻𝓼 𝓪𝓬𝓺𝓾𝓲𝓼 𝓮𝓽 𝓵𝓮𝓾𝓻𝓼 𝓬𝓸𝓷𝓷𝓪𝓲𝓼𝓼𝓪𝓷𝓬𝓮𝓼 afin de leur permettre d'avancer et d'apprendre. S'ils ne parlent pas ou très peu le français, ce n'est pas en leur interdisant d'utiliser leur langue d'origine, langue maternelle que vous allez les aider à acquérir notre langue. C'est en vous appuyant sur ce qu'il connaissent déjà que vous pourrez construire et qu'ils auront plaisir à apprendre (voir également l'hypothèse du lierre). D'ailleurs, posez-vous la question : si vous vous retrouviez dans leur situation, est-ce que vous aimeriez que le français vous serve de soutien, de base ? 

 

-> 𝕚𝕟𝕥𝕖́𝕣𝕖𝕤𝕤𝕖𝕫-𝕧𝕠𝕦𝕤 𝕒𝕦𝕩 𝕝𝕒𝕟𝕘𝕦𝕖𝕤 𝕢𝕦'𝕚𝕝𝕤 𝕔𝕠𝕟𝕟𝕒𝕚𝕤𝕤𝕖𝕟𝕥 𝕖𝕥 𝕢𝕦'𝕚𝕝𝕤 𝕡𝕒𝕣𝕝𝕖𝕟𝕥- je ne suis pas en train de vous dire d'apprendre ces langues, mais tout simplement d'être curieux au sujet de ces langues. Il y a de nombreuses manières de la faire, comme par exemple, le portrait de langues, la fleur des langues, des posters avec le mot "bonjour" dans toutes les langues présentes dans la classe, dans l'école. Acceptez qu'un enfant puisse vous donner une réponse dans une autre langue que le français ; pourquoi ? Ne dites pas, c'est faux parce que vous ne connaissez pas et ne comprenez pas le mot ou les mots utilisés, car ce serait signe que vous sous-estimez, que vous dépréciez, que vous dévalorisez l'enfant et les connaissances qu'il a. Au contraire, intéressez vous à ce mot, à ces mots. Cela sera un signe de reconnaissance, d'acceptation. D'ailleurs, si vous habitiez à l'étranger, aimeriez-vous que l'on s'intéresse à votre langue française ? Aimeriez-vous que le mot ou les mots que vous utilisez soient reconnus comme valides, comme correct ? 

 

-> accepter leur langue, c'est respecter qu'ils sont des êtres humains ; c'est reconnaître leur histoire, leur patrimoine, l'héritage qu'ils ont reçu de leurs parents. En leur interdisant d'utiliser leur langue maternelle, leur langue d'héritage, vous refusez et niez une partie de ce que ces enfants sont. Respecter l'identité des enfants passe par le respect des langues qu'ils parlent. Savez-vous qu'il existe plusieurs types de bilinguisme, de multilinguisme ?Inconsciemment en n'acceptant pas les langues des enfants -d'origine migrante- vous accentuez cette différence. D'ailleurs, posez-vous la question : si on vous disait de ne pas parler français car cette langue ne sert à rien, que ressentiriez-vous ? Aimeriez-vous que votre langue française soit relayée au second plan, que l'on vous dise qu'on vous dise qu'elle ne doit être ni entendue, ni parlée au sein de l'école ? 

 

-> 𝓇𝑒𝒻𝓊𝓈𝑒𝓇 𝓆𝓊𝑒 𝓁𝑒𝓈 𝑒𝓃𝒻𝒶𝓃𝓉𝓈 𝓊𝓉𝒾𝓁𝒾𝓈𝑒𝓃𝓉 𝓁𝑒𝓊𝓇 𝓁𝒶𝓃𝑔𝓊𝑒 𝒹'𝒽𝑒́𝓇𝒾𝓉𝒶𝑔𝑒, 𝒸'𝑒𝓈𝓉 𝓁𝑒𝓈 𝓂𝑒𝓉𝓉𝓇𝑒 𝒹𝒾𝒻𝒻𝒾𝒸𝓊𝓁𝓉𝑒́ 𝒶𝒻𝒻𝑒𝒸𝓉𝒾𝓋𝑒, c'est leur demander de renier la langue de leur parents et donc en quelque sorte de parler autre chose que ce leur parents souhaitent. Leur demander d'abandonner une langue a d'ailleurs des conséquences que l'on ne soupçonne pas. L'enfant se retrouve entre deux mondes à qui il se doit de plaire : l'école qui exige le français et la maison qui demande que l'on conserve la langue d'héritage. Est-ce normal ? Trouvez-vous normal qu'il puisse exister une telle tension entre les deux mondes dans lesquels l'enfant vit ? 

 

-> 𝔞𝔠𝔠𝔲𝔢𝔦𝔩𝔩𝔢𝔷 𝔩𝔢𝔲𝔯𝔰 𝔭𝔞𝔯𝔢𝔫𝔱𝔰 𝔡𝔞𝔫𝔰 𝔲𝔫𝔢 𝔩𝔞𝔫𝔤𝔲𝔢 𝔮𝔲'𝔦𝔩𝔰 𝔠𝔬𝔪𝔭𝔯𝔢𝔫𝔫𝔢𝔫𝔱 : c'est extrêmement nécessaire. Il est important pour les enfants de voir que leurs parents sont accueillis et qu'ils peuvent participer à leur éducation formelle. Comment pouvez-vous faire ? Il existe de nombreuses petites choses toute simples à mettre en place comme un livret d'accueil dans leur langue pour comprendre le système scolaire français, comme des formulaires dans leur langue par exemple. [Consultez le site de notre projet d'écoles "Tonga" pour y trouver d'autres idées]. Le cadre de travail que nous avons écrit vous permettra de comprendre à quel point les bonnes relations entre la famille et l'école contribue à la réussite scolaire, mais aussi à l'assiduité.

 

-> acceptez que les parents aident leurs enfants à faire leur devoir dans leur langue maternelle. Il n'y a aucune raison valable et valide qui oblige à ce que l'aide se fasse en français ! Pourquoi ne direz-vous ? Il existe plusieurs raisons à cela : (a) il est plus facile pour les parents d'aider dans une langue qu'ils maîtrisent ; (b) cela permet en même temps aux enfants de développer leur langue d'héritage (nouveau vocabulaire, nouvelles tournures de phrase) et pourquoi pas aux parents d'apprendre un peu plus de français. N'oubliez pas que toutes les cultures ne présentent pas les choses de la même manière. Ainsi si vous proposez de préparer un exposé, laissez les enfants chercher dans une langue qu'ils maîtrisent. Ils pourront transférer en français ensuite, ainsi ils développent des capacités linguistiques qui leur seront utiles plus tard. Les autres enfants dans la classe pourront ainsi découvrir d'autres informations auxquelles ils ne pourraient pas avoir accès car ne parlant que le français. D'ailleurs, posez-vous la question : aimeriez-vous d'être obligé-e de chercher des informations dans une langue que vous ne maîtrisez pas ? 

 

-> saviez-vous que si un enfant a été scolarisé dans un autre pays, il aura développé d'autres techniques mathématiques. Deux plus deux [2+2] feront toujours 4 quelle que soit la langue utilisée. Par contre, la manière de poser addition, soustraction, multiplication ou division, ne se fait pas de manière identique identique dans toutes les cultures. L'endroit de poser les retenues, de présenter les diverses opérations est différent - différent certes, mais ce n'est pas faux. Certains enfants auront appris en disant septante (70) ou nonante (90), est-ce faux ? Non c'est juste une autre manière de compter. Alors, au lieu de dire : c'est faux ! Pourquoi ne pas vous intéresser à ces différences et les accepter. D'ailleurs, posez-vous la question : seriez-vous capable de compter dans une autre langue que le français ? 

 

-> 𝓵𝓮𝓼 𝓮𝓷𝓯𝓪𝓷𝓽𝓼 𝓷𝓮 𝓭𝓸𝓲𝓿𝓮𝓷𝓽 𝓹𝓪𝓼 𝓼𝓮𝓻𝓿𝓲𝓻 𝓭𝓮 𝓽𝓻𝓪𝓭𝓾𝓬𝓽𝓮𝓾𝓻𝓼 𝓮𝓷𝓽𝓻𝓮 𝓿𝓸𝓾𝓼 𝓮𝓽 𝓵𝓮𝓾𝓻𝓼 𝓹𝓪𝓻𝓮𝓷𝓽𝓼. Ils sont encore enfants et ne doivent pas servir d'intermédiaires entre vous et leurs parents. Cela leur ferait grandir plus vite que nécessaire. Cela pourrait détruite leur enfance et/ou leur adolescence. D'ailleurs, posez-vous la question : auriez-vous apprécié de faire le lien entre vos parents et l'école quand vous étiez enfant ? 

(ce film - en anglais - montre à quel point, il est difficile pour les enfants de traduire pour leurs parents - https://youtu.be/O2f-s1vSYfI?si=mR-frkpn-IaoXU4S )

 

Vous allez me dire que c'est compliqué car vous ne parlez pas toutes les langues que parlent les enfants de votre école, de votre classe. Je le conçois tout à fait et je l'accepte. Je vous comprends et je suis d'accord avec vous. Cependant, il est important que ces enfants - souvent d'origine migrante - se sentent bien à l'école, qu'ils se sentent reconnu et qu'ils puissent apprendre et progresser. Certes, ils ont besoin d'apprendre le français afin de pouvoir apprendre au mieux. Utiliser ce qu'ils savent les aidera à aller plus vite. Reconnaître leur langue d'héritage et la mettre en valeur leur permettra de se sentir bien. Il ne faut surtout pas leur interdire leur langue d'héritage, leur langue maternelle qui est celle avec laquelle ils communiquent avec leurs parents, avec leur famille - celle parfois restée au pays. C'est un bagage inestimable qu'il ne faut ni rejeter, ni dénigrer. Il faut aider à le faire vivre et à l'entretenir.

 

Connaissez-vous les écoles dites Écoles Tonga, des écoles où la communication avec les familles qui ne parlent pas ou peu français est fluide. Ce sont des écoles où les langues d'héritage, langues d'origine des enfants et de leurs familles sont mises en valeur. Ce sont des écoles dans lesquelles tout est fait pour que les langues ne sont plus un fossé, des écoles où des passerelles sont créées pour que les langues ne soient plus un problème. Nous sommes prêts à vous aider à créer votre feuille de route pour que vos écoles deviennent une école Tonga et rejoindre le réseau qui se met place. 

 

Mesdames et Messieurs les enseignant-e-s et directeurs/directrices d'école, je vous souhaite de profiter des semaines qui vous restent avant la rentrée. 
Si vous n'êtes pas sûr-e-s de ce que vous pouvez faire pour aider ces enfants, si vous pensez que devenir une École Tonga pourrait vous aider et faciliter votre travail avec ces mêmes enfants, n'attendez plus pour nous contacter et en parler,

 

Je vous souhaite une belle fin d'été,

 

Isabelle

 

 

 

Notes

* Jacques DERRIDA dans Le monolinguisme de l'autre , éditions Galilée, Paris, 1996  - page 58

 

Je vous avais d'ailleurs déjà écrit ici et ici - cela me tient tellement à cœur !

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